Je ne suis pas de celles qui ont la couture chevillée aux dextres. J’avais beau avoir voulu être costumière, l’aspect pratique de la chose me révoltait. Au lieu, je remplissais des carnets entiers de croquis, j’y collais des brins de tissus, je m’assoupissais entre les volumes épais des catalogues du Costume Institute du MET, du Smithsonian, du Victoria & Albert Museum, du musée des arts décoratifs, du Kyoto Costume Institute. Le dessin ! Le rêve ! Les profondeurs insondables de l’imaginaire ! L’entropie chromatique de ma boîte de couleurs avec ses aquarelles qui bavaient les unes dans les autres ! C’était là mon univers. A d’autres, beaucoup plus pragmatiques, j’aurais volontiers laissé le train-train de la réalisation. J’évitais la classe de sciences ménagères de mon collège, sorte de pavillon de pestiférés, avec son armada de fourneaux blancs pimpants, sa table de coupe corpulente, sa batterie de robots-mixeurs, son escadrille de machines à coudre dont l’aiguille, cette impitoyable poinçonneuse stakhanoviste me faisait immensément peur. Je m’étais même rendue coupable d’avoir fait réaliser par une amie un projet de couture auquel je n’avais pas pu échapper lors de ma courte prestation dans le monde universitaire du design théâtral. Faut-il le dire ? J’étais toute aussi pétrifiée par les entourloupes labyrinthines qu’empruntait le fil de couture par brèches et crochets avant de finir dans le chas de l’aiguille. Pour ce qui était de faire une canette ? Une matrice stochastique me paraissait plus limpide. Cette achmophobie se décuplait face à l’impatience exaspérée des quelques rares âmes qui s’ingéniaient à me faire apprendre le b.a.-ba de la couture à la machine.
Vexée et ayant trop tôt lu Simone de Beauvoir pour avoir tout compris, je me qualifiai illico de trop moderne et de trop sophistiquée pour jouer les dilettantes avec une Bernina. Sauf qu’ayant déjà sacrifié les yeux de la tête et tout ce qui va avec pour une fripe couture dont je n’aurais pu me passer mais que sans doute je regretterais dans un délai de trois mois, j'ai finalement compris qu'il aurait été plus intelligent de savoir faire son ourlet soi-même plutôt que de sacrifier un crapaud éclaffé chez un repriseur.
Mon adolescence, ce long supplice rythmé par une estime flageolante, un radicalisme compensateur et l’utilisation massive d’acide salicylique, m’est passée. Et avec, l’effroi de l’aiguille et le truchement d’un féminisme homogénéisant et simpliste. Fortement épaulée par une belle-mère indulgente et d’une constance infatigable, je me suis mise, lentement et maladroitement, à la broderie dans un premier temps... la chance me souriait, la pointe de l'aiguille étant émoussée!
Plus tard… je découvrais un mélange plus ou moins hasardeux de broderie et de patchwork sans matelassage. La maîtrise pavlovienne de l’aiguille se faisant sur une Singer quarantenaire dont l’âge, les plantureuses proportions en fonte et les fonctions sommaires me réconfortaient.
Et un jour, bien trop tôt pour mon amateurisme couturier… la découverte du Birdie Sling d'Amy Butler et de ses infâmes épaisseurs d’entoilage thermocollé – une véritable obsession américaine… place au jingle… Pour le faire durer plus longtemps, mettez-y du carton ! Qui s’acharne au retournement de l’engin risque une hernie, c’est moi qui vous le dis !
Birdie Sling en popeline bleu marine et Liberty Louise doublée de popeline couleur bordeaux
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