vendredi 18 juin 2010

Retour au Far West

Cinq ans de pérégrinations européennes plus tard et qui m'auront mené jusqu'à l'île de Chypre, voilà que j'entame le trajet inverse. Game over. Retour à la case départ. Faute au goût trop humain pour le saint-frusquin. Le bercail s'appelle Calgary. Ça se trouve dans le Far West canadien. Je suis née à 60 km des Rocheuses. J'y ai moisi 22 ans, trop contente d'y mettre un terme. Faut savoir que le Canadien, lorsqu'il ne s'adonne pas à une crispation identitaire creuse basée sur une américanophobie ampoulée, des slogans publicitaires pour bocks de pisse d'âne Molson et de spots télévisuels pondus par le Ministère du Patrimoine et baptisés Canada Coast to Coast, entretient une relation des plus ambigus avec la mère patrie. Je t'aime. Moi non plus. Et puis merde je te hais! Un pays qui a besoin de la béquille cathodique pour se matraquer un semblant d'identité... Outre la famille et la poignée d'amis qui reste après la grande karcherisation du Temps et de la distance géographique, y a-t-il vraiment quelque chose qui tiennent au cœur lorsqu'on est loin de ce grand fatras de pays? La tentation à répondre d'un non catégorique est très grande.

Les trois-quarts de l'année étaient passés dans la neige. Le dernier quart sous le soleil cuisant des prairies. Ouiquandes sur les pentes, semaines à l'école où je m'ennuyais ferme face à des anglophones ahanant un français des plus approximatifs. Je méprisais leurs jeux. Ils ne m’y invitaient pas. J'trouvais dégueu leurs sandwichs en pain cartonné englué de beurre d'arachide. Ratatinée sur une marche, j'lisais mes classiques, eux se trémoussaient à jouer à touche-zizi. Ils n'arrivaient pas à prononcer mon nom correctement, je n'apprenais pas les leurs. Chacun dans son coin et c'était très bien comme ça. La ritournelle du patchwork multiculturel tant adoré du Ministère de l'Immigration, je l'avais envoyé valdinguer d'un grand coup de pied au derche. J'ai appris à maîtriser la langue de l'ennemi à la grande consternation de mes camarades de classe. Exception faite de sa littérature, je n'ai jamais entretenu qu'un sentiment poli et cordial pour cette langue. Je n'écris pas en anglais. Pour moi, c'est trop sec et cassant. Pas assez causant. A 15:15, du lundi jusqu'au vendredi, sonnait le glas de ce calvaire éducatif. Je me ruais à la maison. On piquait vers la campagne qui en était toujours une, pas encore gangrénée par des constructions immobilières en papier mâché beige comme le teint, beige comme les mœurs, beige comme la vie des êtres qui s'y précipitent, regroupés sous des appellations faussement clinquantes d'Estates et de Domains. On bichonnait nos dadas. On les faisait courir dans les prés. Mon enfance a été équestre. Les étés, je les passais en Europe. En rentrant, l'enchaînement de béton grisâtre et carré qui fait honte à la voûte de bleu éternel, les routes droites à quatre voies, les bagnoles hypertrophiés me déprimaient. L'odeur des couloirs cirés de la rentrée m'achevait. Les autres, ils étaient bien contents avec leurs sourires crétins, leurs sacs à dos synthétiques et leurs survêts de Spiderman et de Pocahontas, leurs souvenirs de colo. Madame notre mère croyait bon de m'envoyer au casse-pipe en jupette plissée, col claudine et bas d'un blanc immaculés, salomés vernis, traînant un cartable en cuir. Mon frère, faute à une paire de knickers en tweed s'était fait drôlement bizuté. Ça forge le caractère tout ça. Ça fait lire Nietzsche trop tôt. Ça fait détester le hockey sur glace plus encore que le foot. En tout cas, ça ne donne certainement pas envie d'adhérer aux niaiseries identitaires des ministères de la Culture, de l'Immigration et du Patrimoine réunis pour un brainwashing d'ocassion.

Je ne suis pas encore partie. Il me reste encore quelques mois à bâfrer du chèvre et du Chinon avant de retourner subir la culture des cowboys nouveaux riches pachas du pétrole et les apéros faits au Shiraz d'australopithèque et au frometogomme en cube fluo.

Rare moment d'assimilation cultu(r)elle... Grimée en "Calamity Juanita" (Merci Maman, Merci Papa!) lors du Stampede c.1988, genre de grande foire en plein air, une catharsis annuelle  pour exorciser le plouc ringard à santiags qui sommeille chez le citoyen lambda.
J'ai l'air aussi heureuse que si on m'avait promis une plâtrée
de choux de Bruxelles et des tables de multiplication.

2 commentaires:

  1. Retour en "vacances" ou définitif? parce que ça n'a pas l'air d'être la joie, ce natif canada... Si tu pars, j'espère que tu continueras à bloguer car sinon tu me manqueras... Je m'étouffe de rire à chacun de tes posts. Bises

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  2. Eh ben, j'essaie de ne pas considérer ça comme étant définitif! Trois ans pour l'instant et peut-être deux ans encore avec ou sans affinités! No soucis, je continuerais à bloguer vaille que vaille! Et puis j'abandonnerais pas l'Hexagone comme ça. M'est avis que les va-et-vient seront nombreux! Merci pour l'encouragement. Bises!

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