samedi 5 juin 2010

Botul m'a occit... suite et fin...

« Les livres ne se font pas comme les enfants, mais comme les pyramides, avec un dessein prémédité, et en apportant des grands blocs l’un par-dessus l’autre, à force de reins, de temps et de sueur, et ça ne sert à rien ! Et ça reste dans le désert ! Mais en le dominant prodigieusement. Les chacals pissent en bas et les bourgeois montent dessus… » Cela s’applique t-il encore à la parturition pas assez douloureuse et regrettablement vigoureuse de bouquins iniques ? Les chacals osent-ils toujours en faire leur litière et les citadins y font-ils toujours grimpette ? Faut croire que si. Me voilà vadrouillant en pleine métaphore flaubertienne.

Pourquoi se prêter à ce jeu ? Pourquoi s’être imposé (« à l’insu de mon plein gré ») trois longs mois de lecture qui, à son meilleur, a été insipide ? Pourquoi assister au couronnement de sa médiocrité ? Que de questions ! Faute à des traumatismes pas encore résolues, un masochisme naissant et à un snobisme littéraire que j’assume pleinement ? Bof ! Il n’était pas question de moi et de mon inconscient en ce vingtième anniversaire du prix Roblès mais bien de litté-rature avec un très petit « l ».

Une scène nue où défilent des citations holographiques d’écrivains présents et passés… ça doit être une spécialité locale, les murs de la bibliothèque avoisinante en sont placardés… un mécanisme pour consoler les solitaires de leur solitude, les pédants de leurs pédanteries, les connards de leurs conneries, les exaltés de leurs exaltations, les visionnaires de leurs visions, les collectionneurs de citations de leurs spicilèges. Des notables s’y ébrouent par intermittences en se gobergeant de faux bons mots, de leur propre importance illusoire, de rictus écumant l’autosatisfaction, de la gloire transitoire de se trouver sous les feux de la rampe face à 400 et quelques couillons (dont bibi) qui ont bien voulu sacrifier leur après-midi à la masturbation honorifique. Jack Lang, aussi saumon que sa chemise, messieurs le député, le maire et l’adjoint à la culture dissimulent les bâillements derrière les vivats. Ont-ils eux aussi souffert la lecture de la sélection ou le voyage en TGV a-t-il été cahotant, le déjeuner trop arrosé ? Le Cheverny (rendu A.O.C. du temps de Jacko qu’on remercie au passage) rend somnolant. Il faut le savoir. Les organisateurs, au bord de l’orgasme, baignent dans la paternité heureuse de leur planification, les objectifs télescopiques de la Nouvelle République cliquent, cliquent, cliquent des clichés sûrement majoritairement inutilisables, les journalistes et les lauréats claquent, claquent, claquent de la mandibule pour nous exposer leurs névroses, leurs réticences numériques (comment apprécier la plastique de la rature en traitement de texte… effectivement, comment…), leurs procédés de scribes (cette histoire sommeillait en moi depuis… depuis, depuis Noël 76 où la tante Germaine, transformiste à ses heures perdues, rata son ragondin fourré aux fougères de Bruyère et bla bla bla). Bref. On s’emmerdait sec comme sur le banc ciré d’un prêche dominical. Les hémorroïdes en prime pour ceux qui en voulaient.

Le dénouement se dénoue enfin. Un peu dans le désordre. Un peu à la va-vite. Un djeune freluquet aux nippes empruntées (Paul-Antoine, 20 ans d’âge comme son nom ne l’indique pas…) nous promet que le lauréat a eu le don de nous émouvoir du haut de sa première ponte littéraire. On n’en saura pas plus. Une voix se dégage soudain du parterre, chevrotante et hantée. Une bibliothécaire. De la bibliothèque avoisinante où le graffiti citatif est de mise. On comprend qu’elle nous fait part d’une bribe de l’ouvrage victorieux. Mais quel est-il ? On ne le replace plus. Le jury populaire est désarçonné. A croire qu’on a tous fait de la lecture en survol à la BHL. On assiste à une session de spiritisme allumeur. Nous voilà tout émoustillés. On n’y tient plus. Perchés sur le bord de nos fauteuils, on se délecte par anticipation… Popaul abrège notre calvaire en nous apprenant que le gagnant est une gagnante et qu’elle s’appelle Estelle Nollet. Elle se frusque de Spandex noir, façon gym-tonic. Elle est émue. Elle nous a écrit du porridge.

Non. Franchement. C’est très bien pour les jeunes. C’est plein de rêves, d’imagination et de désirs inassouvis, les jeunes. C’est Jacko himself qui nous l’assure. Alors c’est sûrement que c’est vrai.

Mais le spectacle n’est pas fini. Il y a encore de la croquignole à cette pièce montée. Une octogénaire solidement campée dans ses bottillons orthopédiques nous exhorte à saluer le lauréat de la bourse Goncourt, nous fait part de sa jeunesse (mais le Temps, il passe, il passe !), oublie qu’intrigue historique n’est pas roman bien ficelé et que la France ne refera pas son triste passé en s’auto-flagellant aujourd’hui… et ran ran rataplan… l’heureux boursier n’est nul autre que « l’épatant » gratte-papier à qui on préférera une boulimie de documentaires nazis sur ARTE. Preuve si besoin était que les prix littéraires en général, et le Goncourt en particulier, sont le réceptacle des soubrettes de la pensée critique, le sanatorium des indigents d’esprit, l’antichambre des gargarismes trop audibles des gâteux et des médiocres.

Ça tangue sur scène. Chroniqueurs, photographes, interviewers, auteurs, organisateurs, politiques et diplomates de la Culture swinguent aux cadences de leur propre brouhaha. Quatre cent et quelques couillons (dont bibi) restent rivés à leurs sièges, observant le manège du gratin caramélisé. Ces bonnes gens nous offrent le spectacle de leurs personnes. Abreuvons-nous-en ! Nous les imbéciles heureux qui nous nous sommes conviés à leur festivité, qui ont acheté et lu leurs torchons et perdu des après-midis entiers à les disséquer, qui ont cru à leurs creuses platitudes, qui ont joué à les comprendre. Un moment de flottement. Ça se baisote, ça s’étreint, ça se sert la pince. Les quatre cent et quelques convives (dont bibi) s’éclipsent en catimini. Avons-nous honte devant tant de splendeur élitiste? Ils ne faudrait pas les déranger, nous rappeler à leur souvenir… La démocratie culturelle, c’est bien, mais faut pas déconner. Dehors on a le choix de se biberonner au Perrier et de faire marquer nos books du paraphe de leurs géniteurs.

J’ai emprunté toute la sélection. A la bibliothèque. Celle qui est toute graffitée. J’ai voté blanc. Je rentre à la maison me désaltérer au Bourgogne. Quelque part dans la ville, dans une gargote plus ou moins étoilée, on s’est rué sur des casiers de Cheverny. Les chacals pissent dans le vide. Les bourgeois font grimper la cote des ventes en librairie.

2 commentaires:

  1. J'adore ton analyse de la situation....ta critique est cinglante mais elle me semble justifiée et elle est extrêmement drôle en tout cas.....
    Quel bouquin t'a enthousiasmé ces derniers temps? Peu importe le genre....
    Allez, vide ton sac sur ton blog, c'est beaucoup pus léger comme sujet...et .... çà permet, faute d'une réelle introspection, d'au moins faire du tri dans ses affaires!
    bises

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  2. Merci! Pour les bouquins récents je me suis plongée dans toute la production de Julian Barnes et Céline aussi pour qui j'avais des aprioris comme beaucoup de personnes. Quelques ouvrages de critique littéraire à bailler debout et puis Mordecai Richler dont je ne me lasserais jamais... je te recommande "Le Monde de Barney". Bon... je me dédie à la bonne cause!

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